Murale par Nikki Künstle, Crédit photo : ©JF GALIPEAU

Quels sont les facteurs de réussite quand il s’agit de mentorat d’une femme dans un milieu à prédominance masculine? Les pratiques ci-dessous s’appliquent autant aux mentor·e·s qu’aux mentorées. Plusieurs d’entre elles sont aussi pertinentes pour les membres d’un autre groupe sous-représenté.

 

S’ÉDUQUER

Tant le·a mentor·e que la mentorée ont intérêt à s’éduquer sur les barrières auxquelles font face les membres du groupe sous-représenté dont i·el·s font partie (ou dont font partie leurs collègues). Le système d’éducation des sciences et de la technologie, notamment, présente peu de notions des relations de pouvoir et de la discrimination au corps étudiant ; ainsi, il arrive souvent que des nouveaux·elles diplômé·e·s arrivent sur les lieux du travail sans comprendre le caractère systémique des barrières auxquelles les femmes font souvent face. Or, dans ce cas, les femmes risquent d’assumer qu’une difficulté quelconque est de leur faute. Le manque de confiance dont témoigne un·e supérieur·e, par exemple, peut miner la confiance d’une nouvelle recrue et ceci, sans justification dans les faits.

Heureusement, l’internet regorge d’études et d’analyses qui expliquent les mécanismes du sexisme et d’autres formes de discrimination. Une simple recherche produira des textes, des présentations et des discours sur les obstacles systémiques, les biais inconscients et les microagressions. En prendre conscience est le premier pas vers une expérience mentorale enrichie.

 

RESPECTER LE TIMING, L’AMBIVALENCE, LES PROGRÈS

Il peut arriver qu’un.e mentor.e soit si désireux.se d’aider un.e mentoré.e à réussir ou à éviter des erreurs que cela pose problème lorsque le·a mentoré.e ne suit pas ses suggestions. De même, il est possible qu’après avoir passé en revue tous les avantages et inconvénients d’une situation, une solution soit claire pour le·a mentor·e, mais pas pour la mentorée. Ou encore, la mentorée n’est pas disposée à prendre des mesures aussi rapidement que le·a mentor·e le voudrait. Que faire?

Il est important pour la relation à long terme que le·a mentor·e respecte le choix de la mentorée, y compris son ambivalence. C’est d’autant plus vrai si la mentorée est en situation minoritaire dans son milieu. Prenons l’exemple d’un·e mentor·e blanc·he en situation de pouvoir, qui recommande à l’employé·e junior noir·e de s’affirmer davantage. Cela a fonctionné pour le·a mentor·e, pourquoi pas pour son·a mentoré·e? Toutefois, le·a mentoré·e pourrait hésiter : peut-être que ses expériences de préjugés lui font craindre que des gestes d’affirmation soient perçus comme agressifs. L’hésitation est légitime.

Cela ne veut pas dire que le·a mentor·e doit accepter tous les choix de la mentorée. Au contraire, le·a mentor·e se doit de sonder les hésitations de la mentorée au cas où elles pourraient se résoudre par des moyens auxquels la mentorée n’a pas songé. On se rappelle toutefois que le but ultime de la relation mentorale n’est pas forcément que la mentorée acquière une certaine compétence ou gravisse un échelon hiérarchique donné, mais qu’elle développe ses forces et ainsi élargisse sa marge de manœuvre. D’où l’importance de reconnaître que certaines transformations les plus profondes ne se manifestent pas de façon mesurable du moins pas à court terme. Mentor·e comme mentorée doivent reconnaître les progrès là où ils se manifestent. Par exemple, pour certain·e·s, le seul fait de s’ouvrir à une relation mentorale est remarquable.

 

SE PRATIQUER À DIRE « NON »

Aussi anachronique que cela puisse paraître, les femmes sont encore souvent plus nombreuses à effectuer des tâches ingrates au travail. Si la personne est nouvelle dans l’organisation, elle pourrait vouloir être perçue comme quelqu’un·e qui coopère facilement, mais elle doit établir des limites et faire des choix.

Lorsque cela est opportun, le·a mentor.e peut entraîner la mentorée à dire « non » sans se sentir coupable et d’une manière qui montre qu’elle a des priorités claires. Par exemple, la mentorée pourrait dire, « Je suis désolée, mais untel projet retient toute mon attention en ce moment, c’est ma priorité. »

Au même temps, il peut être porteur pour les personnes en situation minoritaire de se porter volontaire pour des tâches à haut rendement : des tâches qui leur enseignent quelque chose de nouveau, qui leur donnent une plus grande visibilité ou qui leur permettent de travailler avec des collègues talentueux·ses. C’est une façon de développer leurs compétences en parallèle aux opportunités qui pourraient ou ne pourraient pas leur être proposées formellement.

 

UTILISEZ SON INFLUENCE

Quand vient le moment pour le·a mentor.e d’utiliser son influence, les auteur·e·s d’un article du Harvard Business Review déclarent que «  nous voyons régulièrement des mentors qui soutiennent leurs mentorées en privé, mais qui sont réticents à défendre leurs intérêts publiquement. »

Avant de le leur reprocher, nous devons reconnaître qu’ils n’ont peut-être pas tort. Dans un article publié en 2018, W. Brad Johnson and David G. Smith font référence à la « peine de mauviette » (« wimp penalty ») comme le phénomène selon lequel les hommes qui encouragent les femmes sont considérés moins compétents que les hommes qui ne le font pas. Dans Athena Rising, les mêmes auteurs citent une commandante de la marine à propos du mentorat des femmes : « Parfois, les femmes sont perçues comme un facteur de risque. Il faut être un homme confiant, bien dans sa peau, prêt à prendre le risque de tendre la main pour soutenir une jeune femme. »

Si les risques du mentorat sont réels pour ce groupe pourtant influant, les recherches suggèrent qu’ils pourraient être pires pour les personnes non blanches et pour les femmes. Une étude publiée dans le Harvard Business Review en 2016 a montré que les participant·e·s à l’étude – 307 adultes en poste – considéraient les femmes et les gestionnaires non blanc·he·s comme moins efficaces lorsqu’iels embauchaient une femme ou une personne non blanche que lorsqu’iels embauchaient un homme blanc. Les cadres masculins blancs, en revanche, n’étaient pas considérés comme moins efficaces à la lumière de qui ils embauchaient.

Il y aurait donc parfois un coût à défendre les intérêts de la mentorée. Il est vrai aussi qu’un·e mentor.e n’est pas un·e sponsor·e : ses responsabilités principales se déploient au sein de la relation mentorale, non pas dans la promotion de la mentorée vis-à-vis des autres. Toutefois, il demeure acceptable que le·a mentor·e utilise son influence pour aider la personne mentorée s’i·el·s fait de façon transparente et intègre. Utiliser son influence est d’autant plus légitime dans le cas de femmes dans une position minoritaire, car celles-ci bénéficient moins des atouts invisibles dont jouissent les membres de la majorité.

 

PRIVILÉGIEZ LA RÉTROACTION FRANCHE

Une étude de McKinsey en 2006 a révélé que les femmes n’obtiennent pas les mêmes retours d’information directs et francs sur leurs performances que leurs homologues masculins. Des recherches montrent également que les femmes reçoivent systématiquement moins de rétroactions liées aux résultats professionnels. Cela les prive d’une source importante de renseignements utiles. Par conséquent, cela limite leur capacité de développement.

Mentor·e·s, ne sous-estimez pas la capacité de votre mentorée à gérer la rétroaction. Mentorées, n’hésitez pas à demander la rétroaction franche de votre mentor·e sur des aspects précis de vos comportements, vos approches, votre façon de vous exprimer, bref, tout sur ce vous vous sentez en mesure de recevoir comme impressions, même (et surtout) quand elles risquent de vous froisser.

 

SOULIGNEZ LE POTENTIEL DE LA PERSONNE

En ce qui concerne le potentiel de la personne mentorée, il est utile de considérer que les membres d’une minorité absorbent parfois des stéréotypes négatifs. On a beau résister, à un certain point, cela peut miner la confiance et rendre réticent·e à accepter des défis. Soyez conscient·e de ce phénomène et du syndrome de l’imposteur, en saluant les réalisations et en remettant en question les attentes négatives.

Dans la même perspective, on peut se questionner sur la valeur qu’accorde nos milieux au potentiel de quelqu’un.

Dans un rapport du Working Mothers Research Institute, un PDG observe que les hommes qui maîtrisent seulement 10 % ou 20 % de ce qu’il faut pour accepter un nouveau rôle sont à l’aise de soumettre leur candidature. Or, les femmes attendent de maîtriser 90 % de ce qui est exigé avant de le faire.

De nombreux commentateur·trice·s en concluent que les femmes sont plus réticentes face au risque. Cependant, une étude de 1000 professionnel·le·s par Tara Sophia Mohr suggère le contraire. Mohr nous rappelle que dans les sociétés occidentales, les filles sont récompensées pour avoir suivi les règles, tandis que les garçons sont souvent applaudis pour les enfreindre. Les recherches de Mohr montrent qu’à partir du moment que les femmes voient les compétences énumérées pour remplir un rôle non pas comme des exigences (des règles), mais plutôt comme des champs où elles pourraient réaliser leur potentiel, elles y postulent également.

Parallèlement, une étude de McKinsey trouve que les hommes sont souvent plus engagés ou promus en fonction de leur potentiel, alors que les femmes le sont pour leurs réussites. Le phénomène mène les femmes à postuler à des emplois pour lesquels elles sont déjà qualifiées. Après tout, notre temps et nos efforts ne sont pas infinis : autant les mettre là où les chances de réussir sont les plus élevées. Dans ce cas, le rôle du/de la mentor·e est d’aider leur mentorée à évaluer le « retour sur investissement » et d’agir en conséquence.

 

ENCOURAGEZ L’AUTO-PROMOTION JUDICIEUSE

Dans une étude fondamentale qui a changé notre compréhension des sciences de la gestion, en 1996 l’auteur Harvey Coleman a publié ses recherches sur les clés de la réussite professionnelle. Il a démontré que 10 % de la réussite dépend de la performance professionnelle (la façon dont vous faites votre travail), 30 % de l’image (les gens vous perçoivent-ils comme compétente? Aiment-ils travailler avec vous? Viennent-ils vous voir lorsqu’ils ont un problème?) et 60 % de l’exposition/l’accès aux opportunités (combien de personnes connaissez-vous, combien vous connaissent, connaissent votre travail, apprécient vos compétences).

Or, les femmes croient trop souvent que leur travail se fera remarquer pour sa qualité professionnelle et qu’elles seront promues en fonction de cela – soit du 10 %. C’est une mauvaise perception que le mentorat peut aider à corriger par le réseautage et l’auto-promotion judicieuse.

L’auto-promotion joue aussi dans le cadre des demandes d’emploi, des entretiens d’embauche, des évaluations de performances et d’un large éventail d’autres environnements dans lesquels les individus sont explicitement ou implicitement invité.e.s à évaluer leurs propres performances. Dans une série d’expériences, Christine L. Exley et Judd B. Kessler ont constaté qu’à performance égale, les femmes évaluaient leurs accomplissements de manière moins favorable que les hommes. De plus, les femmes attribuaient souvent leur succès à des facteurs externes (des bons collègues, l’hasard) plutôt qu’à leurs propres capacités.

 

CONCLUSION

Le statut minoritaire est un facteur de risque pour la santé, pour la réussite financière, pour de nombreux autres indicateurs de bien-être. Il en est aussi pour la réussite professionnelle. Un mentorat conscient des défis associés à ce statut nous aide à éliminer des fausses croyances enracinées dans notre éducation, notre culture et même parfois, notre expérience. Il nous permet de distinguer les obstacles systémiques de nos angles morts, nous donnant la possibilité de régler ce que l’on peut et de s’affranchir du reste.

Toutefois, il y a plus. Le·a mentor.e qui est à l’écoute verra en nous des talents que nous ne voyons pas nous-mêmes. I·el nous amènera à reconnaître nos forces et à les faire valoir de manière authentique. Car les obstacles ont ceci de bon, ils nous permettent de développer notre résilience, elle-même un facteur de réussite, autant pour les femmes dans un milieu à prédominance masculine que pour nous tou·te·s.

Envisagez-vous de mentorer une femme? Vous demandez-vous si vous êtes qualifié·e de devenir mentor·e, comment l’expérience pourrait vous être bénéfique ? L’article “Le mentorat au féminin : Trois réponses pour les mentor.e.s” répond à ces questions et plus encore. Si vous êtes vous-même mentorée, l’article “Le mentorat au féminin : Trois réponses pour les mentorées” répond à trois des questions les plus pressantes.

Enfin, gardez un œil sur l’Accélérateur de mentorat de Mentorat Québec, qui lancera une série de webinaires sur le mentorat pour les femmes et les membres des groupes sous-représentés à l’automne 2021 ou l’hiver 2022.

Avec nos remerciements à Yvon Chouinard, Marilou Fuller, Dahlia Jihwan, et Shi Tao Zhang pour leurs réflexions et commentaires.

Références

Anderson, R. H. & Smith, D. G. (2019). What Men Can Do to Be Better Mentors and Sponsors to Women. Harvard Business Review. https://hbr.org/2019/08/what-men-can-do-to-be-better-mentors-and-sponsors-to-women.

Coleman, H. J. (1996). Empowering Yourself: The Organizational Game Revealed.

Exley, C. L. & Kessler, J. B. (2019). The Gender Gap in Self-Promotion. National Bureau of Economic Research. https://www.nber.org/papers/w26345.

Johnson, W. B. & Smith, David (2018). How Men Can Be Better Allies to Women. Harvard Business Review. https://hbr.org/2018/10/how-men-can-become-better-allies-to-women

Johnson, W. B. & Smith, David. (2016). Athena Rising: How and Why Men Should Mentor Women. Bibliomotion, Inc.

McKinsey & Company. (2016). Women in the Workplace 2016. https://www.mckinsey.com/~/media/McKinsey/Business%20Functions/Organization/Our%20Insights/Women%20in%20the%20Workplace%202016/Women-in-the-Workplace-2016.ashx.

Mohr, T. S. (2014). Why Women Don’t Apply for Jobs Unless They’re 100% Qualified. Harvard Business Review. https://hbr.org/2014/08/why-women-dont-apply-for-jobs-unless-theyre-100-qualified.

Working Mothers Research Institute. (2019). The Gender Gap at The Top. https://www.workingmother.com/sites/workingmother.com/files/attachments/2019/06/women_at_the_top_correct_size.pdf.

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