Murale par Cyndie Belhumeur
Les femmes qui travaillent dans des industries à prédominance masculine ont de nombreuses priorités sur leur liste. Est-ce que cela vaut vraiment la peine de se faire mentorer? À quoi peuvent-elles s’attendre sur un plan personnel en s’engageant dans le mentorat ? Si elles décident d’aller de l’avant, comment trouver un·e mentor·e et tirer le meilleur parti de la relation mentorale ?
LE MENTORAT EN VAUT-IL LA PEINE ?
L’on constate, étude après étude, qu’une relation de mentorat bien structurée contribue grandement à ouvrir la voie de la réussite des femmes au travail. Des recherches récentes dans trois industries dominées par les hommes ont documenté comment le mentorat profite aux femmes à trois moments d’une trajectoire de carrière typique.
Le premier moment est celui où les femmes sont encore en formation, c’est-à-dire avant d’entrer sur le marché du travail. Une étude menée en 2017 auprès de femmes de premier cycle en ingénierie à l’Université du Massachussetts a révélé que 11% des étudiantes de première année sans mentor·e ont quitté leur programme après la première année. En revanche, toutes les étudiantes assignées à un·e mentor·e ont décidé de poursuivre. Dans les deux cas, les mentor·e·s étaient des étudiant·e·s plus âgé·e·s, hommes ou femmes.
Fait intéressant : les avantages du mentorat ont persisté un an après la fin de la relation mentorale. Un sondage auprès des mêmes étudiantes après leur deuxième année d’études a demandé si leurs intentions de poursuivre des études supérieures avaient changé depuis leur entrée dans le programme. L’étude a révélé que parmi les femmes qui avaient été encadrées au cours de leur première année, l’intention de poursuivre leurs études demeure la même. Chez les femmes qui n’avaient pas été encadrées, l’intention avait considérablement diminué.
Les deuxième et troisième moments auxquels le mentorat contribue à une trajectoire de carrière sont l’embauche et la promotion. En 2019, une étude portant sur 4 000 diplômé·e·s des meilleurs programmes de MBA au monde a révélé que les femmes MBA qui avaient un·e mentor·e étaient 56% plus susceptibles d’être embauchées au niveau intermédiaire ou supérieur que les femmes MBA qui n’avaient pas de mentor·e. L’étude a également révélé que parmi les femmes considérées comme « prometteuses » sur le lieu de travail, le mentorat était associé à une augmentation de salaire de 27 %.
Mais le mentorat contribue également à la rétention. Sura Ali de l’Ordre des ingénieurs du Québec l’a vécu personnellement. « Quelle importance a eu le mentorat pour moi? Ça fait toute la différence! » dit-elle. « Quand j’ai travaillé comme ingénieure pétrolière, nous étions 10 femmes pour 100 hommes. Sans le soutien d’un bon mentor, la pression aurait été insoutenable. Aujourd’hui j’ai réalisé que mon bonheur d’être au travail est carrément lié à l’appui de mon milieu. Mes responsabilités demeurent les mêmes, mais au lieu de me sentir parfois accablée, je garde confiance dans mes habiletés. La charge mentale est tellement moins lourde. »
Bien que les entrepreneur·e·s ne suivent pas la même trajectoire de carrière que le personnel embauché, le mentorat vaut aussi la peine. Selon une étude citée par Condition féminine Canada, seulement 50 % des femmes entrepreneures sans mentor·e survivent en affaires, comparativement à 88 % des femmes avec mentor·e.
EN QUOI LE MENTORAT AIDE-T-IL?
Le mentorat utilise généralement plusieurs mécanismes au profit des mentoré·e·s, qu’ils soient hommes ou femmes. Cependant, le mentorat aide souvent les femmes de différentes manières supplémentaires.
Valérie Pisano, présidente de Mila, a fait implanter le premier programme de mentorat dans le plus grand centre de recherche universitaire en apprentissage profond à l’hiver 2020 (l’Université de Montréal et l’Université McGill).
« Tout comme les femmes qui travaillent dans d’autres secteurs à prédominance masculine, les femmes en technologies naviguent trop souvent à contre-courant, » a remarqué Pisano au moment de lancer le programme. « Nous faisons face à des obstacles invisibles, mais épuisants. Sans soutien organisationnel, la résilience de nombreuses femmes atteint un point de rupture. Dans mon expérience, le mentorat est une pierre angulaire de toute initiative de promotion de la diversité. »
Comment le mentorat aide-t-il précisément? Les hommes comme les femmes parlent du mentorat comme d’un raccourci vers de meilleures capacités et un sentiment de plus grande compétence. On note que le mentorat aide à repérer et à éviter les erreurs, à voir les situations sous un nouveau jour, à développer la capacité d’analyse et à se comporter de manière plus proactive. On devient plus conscient·e de ses forces; on prend plus de risques de façon plus intelligente et on devient plus à l’aise pour développer un réseau (voir ci-dessous).
De surcroît, les femmes travaillant dans des industries à prédominance masculine ajoutent des nuances qui témoignent des obstacles auxquels elles sont confrontées. Dans une étude des femmes ingénieures canadiennes, par exemple, les mentorées ont déclaré que le mentorat éclairait leur chemin vers la gestion de projets – une fonction pour laquelle elles n’avaient pas de modèles féminins – et leur permettait d’envisager une trajectoire de carrière qu’elles n’avaient pas considérée comme étant possible auparavant. Par ailleurs, au Royaume-Uni, des policières ont déclaré que de discuter de leurs impressions avec une mentore en privé leur permettait de s’exprimer davantage au travail, que ce soit en donnant leur avis ou en suggérant de nouvelles initiatives. Le mentorat les a également rendues plus à l’aise pour faire appel à leurs contacts et utiliser le réseautage pour faire avancer leur carrière.
OÙ PUIS-JE TROUVER UN·E MENTOR·E?
Ne pas avoir accès à un programme de mentorat formel peut compliquer la recherche d’un·e mentor·e. Cela est particulièrement vrai pour les femmes qui travaillent dans un milieu dominé par les hommes, où elles ont moins accès à des réseaux puissants que leurs collègues masculins. En effet, dans ce genre de situation, les hommes occupent des postes plus élevés, sont mieux rémunérés et ont plus de pouvoir décisionnel que les femmes. De plus, la recherche montre qu’en l’absence de mesures délibérées pour inclure tout le monde, nous développons souvent plus de liens avec ceux qui partagent notre genre, notre formation, notre origine ou une autre caractéristique. Ainsi, dans ces milieux, le réseau masculin moyen a tendance à inclure plus d’hommes que le réseau féminin moyen. Le réseau masculin tend aussi à être plus dense et plus influent.
Comment une femme trouve-t-elle un·e mentor·e dans ces circonstances ? Commencez par identifier les personnes dont vous trouvez le profil convaincant. Quelques pistes : notez les personnes mentionnées dans des articles de journaux ou des publications de l’industrie dont les réalisations vous inspirent. Quand vous découvrez un projet intéressant, découvrez qui le développe. Recherchez des profils par mots-clés dans LinkedIn. Et demandez des suggestions des gens autour de vous.
Une fois que vous avez identifié quelques mentor·e·s potentiel·le·s, apprenez tout ce que vous pouvez pour déterminer si leur trajectoire et leurs valeurs sont compatibles avec ce que vous voulez pour vous-même. Rechercher des personnes sur Google est un bon point de départ. Si possible, regardez des vidéos de présentations ou d’exposés qu’elles auraient donnés.
Une fois que vous avez identifié un·e candidat·e prometteur·se, contactez la personne. Envoyez-lui un courriel concis ou une demande de connection sur LinkedIn, en vous présentant brièvement et en demandant un appel de 15 minutes au cours duquel vous pourrez leur poser quelques questions sur leur trajectoire ou leur expérience. Expliquez que vous travaillez sur un projet ou planifiez votre carrière et que vous trouveriez leurs réflexions utiles.
Si la personne accepte et que vous aimez votre conversation, remerciez-la et demandez-lui si elle pourrait envisager une relation de mentorat à court terme. Rassurez-la vous appréciez son temps et que vous êtes ouvert·e à des conversations d’une durée et d’une fréquence qui leur conviennent : peut-être un appel d’une demi-heure toutes les deux semaines, ou une heure d’appel par mois, ou toute autre suggestion qui vous semble raisonnable.
Si vous ne vous sentez pas à l’aise de solliciter un échange régulier tout de suite, vous pouvez simplement remercier la personne pour votre appel et lui demander si vous pouvez le recontacter si vous avez d’autres questions. Si votre interlocuteur·trice est d’accord, vous pouvez procéder par appel à appel jusqu’à ce que vous vous sentiez en confiance pour demander des réunions régulières.
CONCLUSION ET SUITE
Lors d’un récent sondage de satisfaction auprès des mentoré·e·s du programme de mentorat du Réseau Fin-ML, 92 % des répondant·e·s se sont déclaré·e·s entièrement ou très satisfait·e·s de leur expérience de mentorat et 98 % ont indiqué qu’ils ou elles souhaitaient poursuivre le mentorat davantage, que ce soit en tant que mentoré·e ou en tant que mentor·e. Aussi élevés que soient les chiffres, ils étaient encore plus élevés lorsque les seules personnes sondées étaient des femmes.
Pour en savoir plus sur la façon dont ces mentoré·e·s et d’autres ont tiré le meilleur parti du mentorat, voir l’article “Le mentorat au féminin : Meilleures pratiques” sur le blogue de Mentorat Québec. Parmi les bonnes pratiques qui y sont nommées, certaines sont communes aux hommes et aux femmes, tandis que d’autres concernent plus particulièrement les femmes.
Et si vous envisagiez de mentorer une femme vous-même ? L’expérience peut-elle vous être bénéfique aussi à vous? Comment savoir si vous êtes qualifié·e et quelles sont les meilleures pratiques pour les mentor·e·s ? L’article “Le mentorat au féminin : Trois réponses pour les mentor.e.s” répond à ces questions et plus encore.
Enfin, gardez un œil sur l’Accélérateur de mentorat de Mentorat Québec, qui lancera une série de webinaires sur le mentorat pour les femmes et les membres des groupes sous-représentés à l’automne 2021 ou l’hiver 2022.
Avec nos remerciements à Yvon Chouinard, Marilou Fuller, Dahlia Jihwan, et Shi Tao Zhang pour leurs réflexions et commentaires.
Références
Carter, N. M. & Silva, C. (2010). Mentoring : Necessary but Insufficient for Advancement. Catalyst. https://www.catalyst.org/wp-content/uploads/2019/01/Mentoring_Necessary_But_Insufficient_for_Advancement_Final_120610.pdf.
Gouvernement du Canada. (2016). Condition féminine Canada [Women’s Condition in Canada]. Canada. https://cfc-swc.gc.ca/more-plus/swo-mesr/index-fr.html#:~:text=De%20fait%2C%20selon%20les%20recherches,de%20tout%20conflit%20d’intérêts.
Jones, J. (2017). How can mentoring support women in a male-dominated workplace? A case study of the UK police force. Palgrave Communications 3(1):16103. 10.1057/palcomms.2016.103.