Renée Houde est professeure retraitée du Département de communication sociale et publique de l’UQAM et une des pionnières du mentorat au Québec. Son article Le mentorat aujourd’hui : des racines et des ailes est devenu un classique en mentorat. Vous êtes invité·e·s à le lire sur l’Espace membre.


Pourquoi avoir choisi de vous impliquer avec MQ à l’époque alors que le mentorat n’était pas aussi connu qu’aujourd’hui? 

Précisément pour faire connaître le mentorat et contribuer à réunir des forces qui se déployaient à l’époque dans différents champs (gouvernemental, entrepreneurial, éducatif, communautaire). L’effervescence était grande. Les programmes apparaissaient comme des champignons (Diane Doyon au fédéral, Christine Cuerrier à l’UQAM, les Jeunes Administrateurs Agréés, la Fondation de l’Entrepreneurship). Chacun travaillait dans son coin. Alors nous avons éprouvé le besoin de baliser les pratiques mentorales en insistant sur la formation et sur les questions éthiques de manière à éviter des dérives et à encadrer les mentor·e·s, les mentoré·e·s et les responsables de programme. Il fallait aussi clarifier les concepts et les idées : le mentorat diffère-t-il du coaching? Si oui, qu’est-ce qui le caractérise? Est-ce qu’il y a des bénéfices seulement pour le ou la mentoré·e? etc.

J’avais publié Des mentors pour la Relève dès 1995 au Québec, et Le mentor : transmettre un savoir-être en France, en 1996. Puis, par la suite d’autres articles, tels Le mentorat une formule gagnante, mais pas une formule magique et La relation mentorale comme défi relationnel. En tant que professeure au département de communication de l’UQAM, j’ai donné, dès l’automne 1995, des enseignements au niveau de la maîtrise sur le mentorat comme relation transitionnelle. J’ai également supervisé des étudiant·e·s à la maîtrise et au doctorat sur différents aspects du mentorat. J’avais le souci d’établir des fondements rigoureux, théoriques et pratiques, sur le mentorat et la relation mentorale.

De plus, j’avais été appelée, dès les années 1990, à faire des interventions sur le mentorat ici au Québec, en France et en Suisse. Bref quand on a voulu créer un groupe fondateur, je me suis impliquée avec cœur et intérêts, dès les premiers colloques, dès les premières années de Mentorat Québec.

Comment le mentorat a-t-il évolué depuis que vous avez commencé à vous impliquer dans le domaine? 

Le mentorat a pris une énorme place dans nos sociétés. Il répond à la nécessité du développement des personnes au sein de la transformation des organisations, à l’implantation des communications virtuelles, au changement du paradigme d’apprentissage où la personne qui apprend est dorénavant au centre de son expérience, à la nécessité d’une transmission transformative et pas seulement informative, enfin à la conviction maintenant répandue — ce n’était pas le cas au début du siècle dernier — que la transformation des personnes est un processus qui perdure tout au long de la vie. Aujourd’hui, le mentorat est un champ de pratique, de recherche et d’enseignement reconnu et mis en valeur. À titre d’exemple, le mentorat est enseigné à l’Université du Québec à Montréal (programme court de 2e cycle sur le mentorat). De nombreux programmes formels de mentorat existent dans des milieux divers et pour des clientèles très spécifiques.

Dans les années ’90, il fallait aider les gens à concevoir et implanter de tels programmes, les outiller pour assurer le suivi des dyades, la formation des mentor·e·s et des mentoré·e·s. C’est d’ailleurs la qualité de ce suivi qui a fait et fait encore la différence dans la réussite des programmes de mentorat et dans la satisfaction des participant·e·s. Ces défis sont toujours là, auxquels se sont ajoutés les événements et situations complexes des années 2020. Grâce à Mentorat Québec, nous avons fait des pas importants et continuons de répondre aux nouveaux enjeux. À l’occasion des 20 ans de Mentorat Québec, on constate non seulement l’expansion du mentorat en général, mais l’influence grandissante de Mentorat Québec ici et hors Québec.

Qu’est-ce que le mentorat a apporté dans votre vie ?

Sur le plan personnel, si je repense à mon parcours de vie, des figures significatives émergent spontanément quand je songe aux personnes qui m’ont marquée : telle professeure au Collège Regina Assumpta, tel intervenant rencontré au cours d’une formation professionnelle. Bref, très tôt des personnes ont exercé des fonctions de mentor à mon égard. C’était bien sûr du mentorat informel car, à l’époque, on ne parlait pas de mentorat. D’avoir été accueillie, entendue, conseillée, m’a permis de composer avec mon être, de me développer, pendant ma jeunesse, mais aussi au mitan de ma vie. J’ai aussi été mentore pour des jeunes adultes et pour des adultes du mitan. Un rôle extrêmement gratifiant où j’ai pu faire une différence dans la vie de ces personnes, et où elles aussi ont fait une différence dans la mienne.

Par ailleurs, d’avoir écrit livres et articles sur le mentorat, m’a ouvert bien des portes et bien des milieux. Notamment, j’ai été invitée à enseigner à l’Université-Lumière Lyon2, à l’Université de Genève et de Lausanne, à l’Université Paris 8, sans parler des universités d’ici et à donner de nombreuses conférences et formations. Ainsi, je suis entrée en contact avec des professionnels, des ouvriers, des étudiants, des lecteurs de France, de Suisse romande et du Québec avides de comprendre la richesse de cette relation et d’implanter des programmes de mentorat dans leur milieu. J’ai eu le privilège de rencontrer d’autres experts en mentorat (par exemple, Gray et Gray du Mentoring Institute), des rencontres plus stimulantes les unes que les autres.

Rappelons que je suis venue au mentorat par la porte du développement psychosocial de l’adulte, ce qui inscrit le mentorat dans un cadre théorique riche et porteur. Mon apport a été de proposer une compréhension articulée de la relation mentorale : premièrement comme étant une relation développementale (i.e. qui favorise le développement des personnes) et pas seulement une relation d’apprentissage ; deuxièmement comme étant une relation transitionnelle qui survient pendant les périodes de transition qui scandent une vie ; troisièmement comme étant une relation qui évolue selon un processus dynamique que tout mentor a intérêt à connaître afin d’accompagner efficacement la personne mentoré·e.  J’ai aussi collaboré à répandre la vision d’un programme de mentorat comme valeur ajoutée et plus largement à construire une culture mentorale. Combien de personnes m’ont dit : « Si j’avais eu un mentor à tel moment de mon parcours professionnel, cela m’aurait évité bien des pertes de temps et d’énergies. »

Quel privilège ce fut pour moi de rencontrer autant de personnes dynamiques, créatives, généreuses, bienveillantes!  Quelles satisfactions de partager les manières dont elles exerçaient leur propre générativité que ce soit intuitivement ou suite aux apprentissages faits!  Quelle chance de côtoyer des êtres qui avaient à cœur la réalisation de soi et celle des autres et pour qui contribuer à construire un monde meilleur était au centre de leur vie! J’ai pour ainsi dire nagé dans le meilleur des énergies humaines!

En résumé, le mentorat m’a permis d’interpeler chacun·e — en commençant par moi-même — à être responsable de sa vie, à saisir ses manières d’interagir avec autrui, à constamment améliorer ses habiletés de communication, à soigner ses liens, autant de valeurs de la psychologie humaniste essentielles à mes yeux. Il m’a permis de réaliser ma générativité, un indice de satisfaction récurent dans les relectures de vie.

J’aime me rappeler que Machado a écrit : le chemin est fait des traces de tes pas ; c’est en marchant que le marcheur fait son chemin. Jeune docteure, j’aurais sûrement froncé les yeux si une déesse m’était apparue pour me prédire que je publierais sur le développement adulte, le mentorat, les récits de vie. J’ai eu le privilège de découvrir tôt que nous naissons et évoluons à l’intérieur de matrices relationnelles dans un contexte et un temps donné et que ce processus est à l’œuvre pendant tout le cycle de la vie humaine.

En guise de conclusion…

Le mentorat, comme relation et comme programme, répond de manière encore plus raffinée qu’il y a vingt ans aux besoins de l’adulte contemporain d’être accompagné tout au cours de sa vie.

Tout comme on commence à découvrir la sociologie des arbres, à entrevoir les échanges qu’ils ont entre eux par le Co2 et par leurs racines, les grands arbres faisant de la place aux petits, ainsi nous découvrons l’enchevêtrement des échanges entre mentor.e et mentoré.e, entre programme de mentorat et organisation. J’ai grande confiance dans la métabolisation des générations qui constitue les cycles intergénérationnels!

À Mentorat Québec, je souhaite une belle célébration de ses 20 ans et de belles années à venir… pour la suite du monde.

Renée Houde, Ph.D.

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