Par Jennifer Petrela
Experte en mentorat, Mentorat Québec

Photo : Hannah Joosse

Les gouvernements, les entreprises et les individus partout au monde font la promotion du mentorat de plus en plus ardemment comme moyen d’améliorer la rétention, la productivité et l’inclusion sur les lieux de travail. Pourquoi, alors, tant de programmes de mentorat ont-ils du mal à mesurer son impact?

« Si mesurer l’impact d’un programme de mentorat demeure un défi, » explique Yvon Chouinard, président sortant de Mentorat Québec, « c’est qu’en général, ce qui est évaluable à court terme représente seulement un dixième de l’impact total. Les neuf autres dixièmes sont les retombées intangibles à long terme. »

En effet, le mentorat est avant tout une relation. Comment mesurer les impacts d’une relation? Il n’y a pas de population contrôle. Il est impossible d’isoler le “facteur mentoral”. Au final, ce n’est qu’avec le recul qu’on saisit toute son influence.

L’approche terre-à-terre

Certains programmes de mentorat n’ont pas d’objectif mesurable corporatif proprement dit. Pour eux, la mesure la plus pertinente est aussi la plus simple : la satisfaction des participant.e.s, mentor.e.s comme mentoré.e.s. Inutile d’investir dans un système d’évaluation plus élaboré.

Marco Dubé a monté le programme de mentorat de Bombardier Transport en 2014, alors que le manufacturier d’avions et de trains traversait une période difficile. Le but du mentorat n’était pas d’empêcher des employé.e.s de quitter le navire mais de leur offrir un cadre de soutien mutuel qui les aideraient à gérer leur stress et mieux réagir à l’incertitude de la situation.

« Je n’ai pas tourné autour du pot, » dit M. Dubé. « En montant le programme, j’ai prévenu mes collègues de la direction: la réflexion en mentorat inspirera peut-être certains à quitter, mais ceux qui resteront seront à la bonne place. »

Ainsi, après quelques mois, un sondage et des entrevues ont indiqué qu’un nombre élevé de participant.e.s s’étaient vus régulièrement et reconnaissaient des bénéfices claires. La direction en était satisfaite et le programme est actuellement à sa seizième année.

L’approche à 360 degrés

À l’autre extrême, nous retrouvons un système d’évaluation qui mesure les impacts du mentorat au niveau du dyade, sur l’organisation et sur la société. Cela implique de suivre les mentor.e.s et les mentoré.e.s dans le temps, activité qui semble propice par exemple à des milieux académiques où les changements d’employeur sont moins fréquents que dans le milieu privé. On l’observe aussi au sein d’associations professionnelles et d’autres organisations qui opèrent au niveau de l’écosystème. Ainsi le Réseau Mentorat, programme de mentorat pour les entrepreneur.e.s au Québec, a pu suivre ses mentoré.e.s assez longtemps pour calculer, entre autres, que le mentorat double le taux de survie sur cinq ans des entreprises dont le/la dirigeant.e est accompagné.e.

Toutefois, les changements à l’écosystème ne sont jamais entièrement attribuables à un seul facteur tel le mentorat. Il ne s’agit pas d’une relation de cause à effet.

Un cadre de mesure des résultats

Une façon d’aborder ces défis est d’attribuer aux programmes de mentorat plusieurs niveaux d’impact, dont chacun serait mesurable avec certains indicateurs. Le cadre ci-dessous propose quatre niveaux d’impact et une longue liste d’indicateurs. L’objectif est de l’adapter en fonction des besoins et des budgets des différents programmes de mentorat : il suffit de soustraire certains indicateurs, en ajouter d’autres et adapter le reste.

Niveau 1 : Évaluer le processus

Quoi mesurer : Les intrants et les extrants du programme

Quand le mesurer : À la fin de la période officielle de mentorat

Quantité d’outils

  • Nombre de sessions de formation, un guide de mentorat, etc.

Utilisation d’outils

  • Pourcentage de participant.e.s ayant terminé les formations
  • Pourcentage de participant.e.s qui ont eu des contacts réguliers tout au long du programme
  • Pourcentage de participant.e.s qui ont utilisé d’autres outils fournis par le programme (outils de planification du développement professionnel ou autres)

Qualité des outils

  • Pourcentage de participant.e.s qui considèrent que les formations, la documentation, etc. ont été utiles
  • Pourcentage de participant.e.s qui considèrent le programme bien organisé, qui se considèrent bien soutenu.e.s
  • Pourcentage de dyades qui se considèrent bien appariées
  • Pourcentage de participant.e.s qui recommanderaient le programme à d’autres
  • Pourcentage de participant.e.s qui s’inscrivent en tant que mentor.e pour une nouvelle cohorte

 

Niveau 2 : Évaluer l’apprentissage par les participant.e.s

Quoi mesurer : Les résultats du mentorat

Quand le mesurer : À la fin de la période officielle de mentorat

  • Pourcentage de participant.e.s qui ont apprécié leur expérience de mentorat
  • Pourcentage de participant.e.s qui ont développé une confiance en leur homologue mentoral
  • Pourcentage de participant.e.s qui estiment avoir atteint certains ou tous leurs objectifs pour la relation de mentorat
  • Pourcentage de participant.e.s qui estiment avoir appris / échangé une partie ou la totalité de ce qu’ils attendaient ou espéraient apprendre / échanger, qu’il s’agisse de compétences ou de connaissances
  • Pourcentage de participant.e.s qui estiment avoir appris / échangé quelque chose d’important qu’ils ne s’attendaient pas à apprendre / échanger, qu’il s’agisse de compétences ou de connaissances. Par exemple:
    • Un meilleur aperçu de l’entreprise ou de l’industrie
    • Un meilleur aperçu des possibilités de carrières
    • Une meilleure gestion des projets
    • Une meilleure expression des idées ou des opinions
    • Une meilleure adaptation au changement ou à l’incertitude
    • Une réaction plus positive à la rétroaction
    • Des meilleures interactions avec les collègues

 

Niveau 3 : Évaluer les effets sur les participant.e.s

Quoi mesurer : Les effets du mentorat

Quand le mesurer : À la fin de la période officielle de mentorat, 1 an plus tard, 3 ans plus tard, etc.

  • Pourcentage de participant.e.s qui estiment avoir appliqué tout ou une partie de ce qu’ils ont appris, qu’il s’agisse de compétences ou de connaissances
  • Pourcentage de participant.e.s ayant observé un lien direct entre le mentorat et une réussite professionnelle (une promotion, une réussite sur un projet, l’intégration dans une équipe, etc.)
  • Pourcentage de participant.e.s qui se sentent plus connecté.e.s ou en sécurité dans leur vie professionnelle
  • Pourcentage de participant.e.s qui se sentent plus efficaces, confiant.e.s ou valorisé.e.s dans leur vie professionnelle
  • Pourcentage de participant.e.s qui se sentent mieux en mesure de gérer le stress
  • Pourcentage de participant.e.s qui se sentent énergisé.e.s dans leur vie professionnelle
  • Pourcentage de participant.e.s qui se sentent plus optimistes quant à leur carrière ou à leur cheminement de carrière, ou qui se sentent plus confiant.e.s quant à l’établissement d’objectifs professionnels
  • Pourcentage de participant.e.s dont les superviseurs ou collègues les sentent plus confiant.e.s / efficaces / énergiques au travail

 

Niveau 4 : Évaluer les effets sur l’organisation / l’industrie

Quoi mesurer : Les effets du mentorat sur l’organisation ou l’industrie

Quand le mesurer : 1 an après la fin du programme, 3 ans après, 10 ans après, etc.

Promotion et avancement

  • Des promotions, ou des promotions plus rapides, pour les mentor.e.s et les mentoré.e.s
  • Augmentations de salaire plus importantes pour les mentor.e.s et les mentoré.e.s

Morale

  • Plus grande satisfaction au travail parmi les mentor.e.s et les mentoré.e.s
  • Meilleures relations de travail telles que rapportées par les mentor.e.s et les mentoré.e.s

Attirance et rétention

  • Plus de candidatures, notamment de candidat.e.s qui citent le mentorat ou la culture de l’entreprise comme un attrait
  • Moins de roulement, meilleure rétention
  • Économies générées par les coûts de remplacement évités

Engagement

  • Plus d’optimisme de la part des employé.e.s envers l’employeur / l’industrie
  • Intention des employé.e.s de rester plus longtemps dans l’entreprise / dans l’industrie

Appréciation

  • Plus d’appréciation par les employé.e.s de l’employeur / collègues / lieu de travail / industrie
  • Intention des employé.e.s de parler positivement de l’entreprise / de l’industrie, même après leur départ

Productivité et performance

  • Indicateurs propres à l’entreprise / l’industrie

 

Conclusion et astuces pour réussir

La planification de l’évaluation peut être facilitée grâce à un cadre de mesure des résultats comme celui-ci. Penser l’évaluation à l’avance augmente non seulement la probabilité que l’évaluation ait lieu, mais contribue également à clarifier et à prioriser les objectifs du programme.

Par contre, la mise en place d’un cadre ne garantit pas des données abondantes et utiles. Quels sont les astuces pour réussir?

Premièrement, comme pour tout projet, il est préférable de mettre en place un système de suivi et d’évaluation dès la phase de conception. Cela permet de produire des indicateurs abordables, adaptés aux profils des participants et traçables dans le temps. Il s’assure également que l’évaluation est collectée à des intervalles qui génèrent les données les plus utiles et sont gérables pour le personnel.

Deuxièmement, pour maximiser les réponses, il est important d’utiliser des mécanismes de rétroaction que les participants apprécient – ou du moins, qu’ils trouvent les moins onéreux possible. Un questionnaire imprimé avant un événement social? Des commentaires de groupe autour d’un café? Un sondage en ligne suivi d’un prix? Tout est possible, à condition que cela convienne aux répondants et utilise des méthodes fiables. Obtenir l’adhésion des participants lors de leur inscription au programme peut augmenter le taux de réponse.

Troisièmement, les meilleures évaluations réfléchissent d’avance à la manière dont les données pourraient être utilisées. Si on songe à utiliser les témoignages des participant.e.s pour recruter les mentor.e.s de la prochaine cohorte, par exemple, on pourrait filmer une séance de rétroaction ou laisser de la place dans les sondages pour que les participants décrivent ce que le mentorat signifie pour eux dans leurs propres mots. Des réponses de forme libre comme celles-ci informent souvent de nouveaux indicateurs. Par ailleurs, l’indicateur de niveau 3 « Pourcentage de participant.e.s qui se sentent énergisé.e.s dans leur vie professionnelle » a été inspiré par le commentaire d’un mentor de la première cohorte de Mila.

Pour finir, accepter de corriger le tir en course de route est toujours une bonne approche, d’autant plus que c’est aussi le cas… pour le mentorat lui-même.

 

QUELQUES RÉFÉRENCES

Kirkpatrick, D. L., & Kirkpatrick, J. D. (2007). Implementing the four levels: A practical guide for effective evaluation of training programs. San Francisco, California: Berrett-Koehler. ISBN 9781576755327

National Center for Women & Information. (mai 2011). Evaluating a mentoring program technology: Guide. Consulté au https://www.ncwit.org/resources/evaluating-mentoring-program-guide

Richardson, M. (2020, 23 avril). Goal Setting & Measuring the Impact of Mentoring. Art of Mentoring. Consulté au https://artofmentoring.net/GOAL-SETTING-AND-MEASURING-THE-IMPACT-OF-MENTORING/.

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