Par Jennifer Petrela, gestionnaire de l’Accélérateur mentoral de Mentorat Québec

Illustration : Élyse Zadigue-Dubé


Les gens demandent souvent si les mentoré.e.s réussissent mieux avec des mentor.e.s de la même origine ethnique ou du même genre. Ils sont particulièrement préoccupés lorsque des personnes appartenant à des groupes sous-représentés sont impliquées. Un légiste autochtone devrait-il être encadré par un avocat autochtone, qui pourrait mieux comprendre la culture et les antécédents du légiste qu’un avocat d’une communauté allochtone? Une ingénieure devrait-elle être encadrée par une autre ingénieure, qui est plus susceptible qu’un homme d’avoir fait face à un manque d’inclusion?

5 astuces pour un jumelage judicieux

  • Donnez le choix aux mentoré.e.s.
  • Soyez curieux/curieuse de connaître leurs valeurs.
  • Partagez le pouvoir.
  • Renseignez-vous sur les différences.
  • Redéfinissez la « préparation ».

La réponse est importante, non seulement pour les mentoré.e.s, mais aussi pour les mentor.e.s. Un nombre croissant de personnes et d’entreprises voient les mentor.e.s aider leurs mentoré.e.s à développer leur leadership, à améliorer leurs compétences en communication et à équilibrer leurs objectifs personnels et professionnels. Une bonne relation de mentorat augmente la réussite professionnelle, la satisfaction au travail et la loyauté du/de la mentoré.e envers l’employeur ou l’employeuse. Pas étonnant que la recherche de mentor.e.s soit lancée.

Cependant, les membres des groupes sous-représentés sont souvent déjà trop sollicité.e.s. On demande à ceux et celles qui ont réussi en suivant les normes traditionnelles de promouvoir la diversité, servir de modèles, donner des discours, parrainer des groupes. Si en plus on fait appel à eux pour encadrer d’autres minorités, la pression monte encore plus.

De surcroît, qu’en est-il des chiffres? L’offre de mentor.e.s issu.es des communautés sous-représentées peut être insuffisante pour répondre à la demande. Cela pourrait aider à expliquer pourquoi une étude récente, qui regroupe plus de 3000 professionnel.le.s dans des compagnies américaines, a révélé que 62% des hommes, versus seulement 41% des femmes, avaient un réseau stratégique d’entraîneur.e.s, de mentor.e.s et de sponsor.e.s/parrains/marraines qu’ils ont consulté pour obtenir des conseils durant leur carrière. Pendant ce temps, d’autres recherches suggèrent que certain.e.s professionnel.les issu.es de la communauté LGBTQ + hésitent même à demander d’être mentoré.e.s. Ces professionnel.le.s se sentent obligé.e.s de prouver qu’ils et elles peuvent réussir sans aide.

C’est pourquoi une question se pose : dans quelle mesure est-il important de faire correspondre le profil sociodémographique des mentor.e.s et des mentoré.e.s?

Préférences des mentoré.e.s: un point de départ

Des études menées au cours de plusieurs décennies ont établi que les membres des groupes sous-représentés préfèrent souvent des mentor.e.s du même genre ou de la même origine ethnique. Le soutien psychosocial est souvent plus important et la communication, plus ouverte. En effet, une étude menée auprès d’avocat.e.s aux États-Unis a révélé que les discussions entre mentor.e et mentoré.e sur des questions de genre ou de race* était souvent évitées lorsque l’un.e des deux était blanc ou blanche, même lorsque la relation de mentorat était par ailleurs forte. En même temps, les besoins et les préférences des mentoré.e.s évoluent souvent. Par exemple, un mentoré de sexe masculin débutant sa carrière pourrait être plus facilement entretenir des rapports plus aisément avec un autre homme qui a rejoint l’entreprise quelques années avant lui. En atteignant la gestion intermédiaire, cependant, il pourrait vouloir être mentoré par une supérieure dont il admire le travail.

En outre, dans un environnement professionnel où la plupart des emplois supérieurs sont occupés par des membres de la majorité, les mentoré.e.s issu.es de groupes minoritaires bénéficient souvent de plus grands avantages professionnels du mentorat mixte – une motivation qui peut gagner ou perdre de l’importance à différentes étapes du leur cheminement.

Pour ces raisons et d’autres, la recherche n’a pas établi de façon concluante le mérite du jumelage pour la similitude du profil sociodémographique. Fait intéressant : dans une analyse, les étudiant.e.s universitaires qui avaient un.e mentor.e du même genre ou de la même race qu’eux/elles ont déclaré avoir reçu plus d’aide … mais n’ont pas obtenu de meilleurs résultats académiques. Une étude sur des garçons d’âge scolaire a obtenu un résultat similaire.

Les mentor.e.s ont leurs propres préférences

Pendant ce temps, les mentor.e.s issu.es des groupes majoritaires ne comprennent pas toujours la préférence pour le jumelage sociodémographique. Certain.e.s minimisent la diversité culturelle et sociale, affirmant plutôt le « daltonisme racial » – la liberté de préjugés concernant l’ethnicité ou la race, peut-être même le rejet de la notion selon laquelle les membres des groupes majoritaires ont plus de pouvoir et de privilèges. D’autres préconisent mixer les sexes ou d’autres caractéristiques sociodémographiques, faisant valoir l’exposition à la diversité pour renforcer la résilience.

Ces arguments peuvent être plus théoriques qu’applicables. En 2019, le Center for Talent Innovation a constaté que 71% des mentor.e.s interrogé.e.s avaient choisi un.e « mini-moi ». En d’autres termes, une grande majorité de mentor.e.s du niveau exécutif, hommes et femmes, ont choisi des mentoré.e.s de la même race et du même sexe qu’eux/elles.

D’autres mentor.e.s, cependant, adoptent le jumelage basé sur la diversité et acceptent que les identités culturelles et sociales ont façonné les expériences de leurs mentoré.e.s. Ces mentor.e.s adoptent une position d’apprentissage. Ils et elles posent des questions, encouragent les différentes manières de voir une situation et respectent les solutions de leur mentoré.e.

L’importance des valeurs

C’est peut-être la raison pour laquelle une étude récente a révélé que la partage de sa race importe moins aux mentoré.e.s qu’une perception de valeurs partagées. Dans un échantillon national de diplômé.e.s afro-américain.es se spécialisant en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (dont 80% étaient des femmes), les mentoré.e.s qui ont déclaré avoir une solide relation de mentorat étaient plus susceptibles de déclarer qu’ils et elles partagent des valeurs similaires avec leur mentor.e que d’affirmer qu’ils et elles partagent le même genre ou  la même race. Pourquoi donc? Une étude de professionnel.le.s encadré.e.s par l’Université du Nebraska Omaha est allée plus loin.  L’université a présenté aux mentoré.e.s 10 valeurs: pouvoir, réussite, stimulation, autodirection, universalisme, bienveillance, tradition, conformité, sécurité et hédonisme. Elle a demandé aux mentoré.e.s d’attribuer un niveau d’importance à chaque valeur. Elle a ensuite demandé aux mentoré.e.s d’estimer l’importance de chaque valeur pour leur mentor.e. Les mentoré.e.s qui estimaient que l’importance qu’ils et elles accordaient aux valeurs étaient similaires à l’importance que leur mentor.e accordait à ces mêmes valeurs ont observé un plus grand succès dans leur relation de mentorat. Ces mentoré.e.s estimaient avoir reçu davantage de soutien psychosocial ainsi que pendant leur carrière. Ils et elles ont également signalé de meilleurs résultats organisationnels : une plus grande satisfaction au travail, plus d’engagement envers leur organisation et plus de réussite professionnelle. L’université a suggéré deux raisons pour lesquelles la perception des valeurs partagées par les mentoré.e.s avait des résultats aussi positifs. Premièrement, les valeurs servent de fondement à la façon dont les gens interprètent les autres personnes et les situations. Ceux et elles qui apprécient l’honnêteté, par exemple, pourraient évaluer une situation de façon complètement différente de ceux et elles qui valorisent l’astuce. De même, ceux et elles qui accordent la priorité aux ambitions professionnelles pourraient choisir un chemin différent de ceux et celles qui priorisent les loisirs. Le partage d’une base de valeurs est un facteur de succès dans les mariages; peut-être qu’en est-il autant pour le mentorat. Deuxièmement, la communication est souvent plus facile entre des personnes qui partagent des valeurs. Leurs idées à propos de ce qui devrait être fait et la façon de le faire ont tendance à être plus compatibles. Cela pourrait rendre la relation plus harmonieuse et plus productive.

L’importance des intérêts

Cela dit, les valeurs ne sont pas les mêmes que les intérêts. Une étude de 2017 a révélé que le prédicteur dominant d’une relation de mentorat satisfaisante n’était ni le sexe ni l’ethnie/la race partagés, mais plutôt une aversion partagée pour des activités telles que les visites de musées, les concerts et les sports. Fait intéressant : le partage des intérêts n’est pas aussi puissant que le partage des aversions.

Pour résumer…

Le jury ne sait toujours pas ce qui compte le plus pour une paire mentor.e-mentoré.e réussi, et nous ne le saurons peut-être jamais – après tout, les individus sont uniques. Pour l’instant, cependant, la recherche suggère 5 points à retenir :

  1. Donnez le choix aux mentoré.e.s. Respectez les préférences des mentoré.e.s en matière de mentor.e. Pour certain.es, cela signifie une correspondance au niveau du profil sociodémographique. D’autres préfèrent le jumelage diversifié. Pour le reste, ce n’est pas un enjeu.
  2. Soyez curieux/curieuse de connaître leurs valeurs. Les mentoré.e.s et les mentor.e.s peuvent passer un test de valeurs ou discuter de la compatibilité des valeurs lors de la première rencontre. Si leurs valeurs ne sont pas les mêmes, les mentoré.e.s ne devraient pas avoir à s’adapter aux valeurs des mentor.e.s. De telles attentes peuvent affecter leur confiance en soi et leur sens de l’efficacité, deux attributs essentiels à la réussite.
  3. Partagez le pouvoir. Les mentor.e.s des communautés majoritaires peuvent chercher intentionnellement à comprendre les dynamiques du pouvoir ou d’oppression concernant les groupes sous-représentés. Une solution consiste à suivre une formation sur les préjugés inconscients, de préférence en groupe, où le partage d’expériences peut aider à donner vie à la formation. Remarque : une formation n’est pas la fin des dynamiques de pouvoir ou d’oppression dans la relation! Des études montrent que sans entraînements répétés, les préjugés ont tendance à refaire surface.
  4. Renseignez-vous sur les différences. Peu importe leur origine ethnique ou leur sexe, les mentor.e.s peuvent s’intéresser aux antécédents culturels et aux identités sociales des mentoré.e.s issu.es de communautés marginalisées. La sensibilité culturelle de leur entourage aide souvent les mentoré.e.s à gérer des expériences invalidantes, à affirmer leur droit à l’inclusion et à renforcer leur croyance en leurs capacités. Le respect de l’aversion du mentoré.e pour certaines activités est également signe de respect.
  5. Redéfinissez la « préparation ». Dans un rapport du Working Mothers Research Institute, un PDG a observé que « les hommes qui ont 10 ou 20% de ce qu’il faudra choisiront de prendre une nouvelle responsabilité. Les femmes veulent maîtriser 90% de ce qu’il faudra. » Mentor.e.s, aidez vos mentoré.e.s à s’envisager dans des rôles plus élevés.

 

* Dans cet article, l’auteure reprend le terme « race » tel qu’employé dans les études citées.

Références

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Régner, Isabelle, et al. “Committees with Implicit Biases Promote Fewer Women When They Do Not Believe Gender Bias Exists.” Nature Human Behaviour, vol. 3, no. 11, 2019, pp. 1171–1179., doi:10.1038/s41562-019-0686-3.

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