Aspirations et craintes des mentor(e)s et mentoré(e)s du nouveau programme à Mila

Par Jennifer Petrela, gestionnaire, l’Accélérateur mentoral de Mentorat Québec
Crédit photo : Maryse Boyce

Collègues dispersé(e)s, date de retrouvailles incertaine. C’est dans ce contexte que Mila vient de lancer son tout nouveau programme de mentorat, projet pilote sur neuf mois. Entrevue avec deux mentors et deux mentoré(e)s sur leurs attentes, leurs souhaits, et l’impact de la pandémie sur la relation mentorale.

Pierre-Luc St-Charles, mentor : Je voudrais être celui à qui on pose les questions qu’on n’ose pas poser

Pierre-Luc St-Charles, scientifique en recherche appliquée à Mila, a la jeune trentaine. Il est passionné par sa recherche en apprentissage automatique,  il ne compte pas ses heures devant l’écran et son temps libre est occupé. Pourtant, il s’est levé la main pour mentorer deux chercheur(e)s à Mila. Pourquoi?

« J’ai beaucoup souffert du syndrome de l’imposteur avant de me fixer une voie, » commence Pierre-Luc. « C’est un domaine intimidant où tout change si vite qu’on est sans repères. C’est comme si on demandait aux jeunes de sauter sur un train qui roule très rapidement vers on ne sait pas où. Ce qui se faisait il y a 7 ans, c’est fort probablement dépassé aujourd’hui : ainsi, personne ne saura te conseiller sur le poste à viser, ce poste n’existe peut-être même pas encore. En plus, le milieu est très compétitif.

En tant que mentor, donc, mon but ne sera pas de conseiller sur la voie à suivre, ni de répondre à des questions techniques.  J’espère toutefois pouvoir éliminer quelques craintes, quelques doutes de la part de mes mentoré(e)s. Rester dans l’incertitude peut saper la confiance en soi et par extension, sa capacité d’agir.

C’est d’autant plus important dans le contexte actuel. Le fait d’être physiquement dans un lieu avec beaucoup d’autres aurait donné aux mentoré(e)s des opportunités de se retrouver avec des personnes qui partagent leurs inquiétudes. Le Covid a limité cette dynamique, du moins pour un moment, du moins pour cette génération de chercheur(e)s. »

Gaétan Marceau-Caron, mentor : Je vais écouter de très près

Gaétan Marceau-Caron a la même tranche d’âge que Pierre-Luc et occupe un poste similaire. Il s’attend à apprendre énormément de son mentoré, membre de minorité visible issu de l’étranger.

« En science et en mathématiques, il y a cette notion d’universalité qui relaie la culture et les différences au second plan. Je crois qu’elle trouve son origine dans la passion que nous portons à notre travail. Lorsque l’on partage une même passion, e.g. de comprendre notre monde et résoudre des problèmes difficiles, il est plus facile d’établir une relation basée sur le respect et l’envie de travailler ensemble, » dit Gaétan.

Mais les relations de travail vont au-delà des questions mathématiques et ça peut être là que le bât blesse, d’autant plus que le milieu de la recherche est compétitif et les professeur(e)s n’ont pas autant de temps qu’ils voudraient pour aider leurs étudiants. « Depuis peu, les pays évaluent leur recherche au niveau mondial avec des indicateurs de publication qui permettent de comparer les scientifiques entre eux. Pour certains, c’est très stressant d’avoir un score qui détermine votre carrière après des années d’études. C’est là, je crois, où mon expérience pourrait les rassurer. Ceci dit, ce sera ma première expérience comme mentor. Je sais encadrer les gens sur le plan technique mais le côté personnel sera nouveau. Comment rester en retrait, chercher plus à comprendre, écouter sans être une oreille passive? J’ai hâte aux formations pour les mentor(e)s. »

« Quant aux questions de diversité, il est difficile de comprendre la réalité des groupes sous-représentés et de bien conseiller lorsqu’on ne l’a pas vécu soi-même. J’aimerais être mieux outillé afin de pouvoir réellement aider. Enfin, si mon mentoré s’ouvrait à moi, j’aurai tout à apprendre. Je vais écouter d’une oreille attentive. »

Shalaleh Rismani, mentorée : Je pourrai créer des liens

Shalaleh Rismani faisait ses valises à Vancouver alors que le Covid-19 a frappé le Canada. Elle n’avait pas encore loué un appartement à Montréal et avec son superviseur à McGill, elle a convenu de débuter le doctorat à distance.

« J’étais tellement emballée à l’idée de rencontrer les personnes à Mila, c’est pour moi la partie la plus dure de l’épidémie, » dit Shalaleh. « L’idée d’être entourée par des personnes du même domaine qui font du brainstorming ensemble – j’ai dû y renoncer jusqu’en juillet, jusqu’en août, on ne le sait pas encore. C’est pourquoi je suis tant heureuse de faire partie du programme pilote de mentorat. Comme ça, je pourrai créer des liens avec quelques personnes, ma mentore, ma co-mentorée. Peut-être aussi montera-t-on un groupe virtuel entre mentoré(e)s. »

Shalaleh avait demandé une femme comme mentore. « Je suis curieuse de savoir comment le fait d’être femme dans ce domaine majoritairement masculin aurait pu affecter ma mentore, » dit-elle. « Je n’ai pas moi-même souffert de discrimination ouverte mais quand je me trouve dans un gros colloque et je marche et je marche sans jamais croiser une autre femme, il est vrai que c’est une expérience isolante. La valeur d’un modèle de rôle est réelle, il aide à se former une identité. »

Quel style de mentorat préfère Shalaleh? Un style plus traditionnel, où la mentore sera plus didactique? Ou un style plus bidirectionnel, où on lance des idées et les manipule ensemble?

« Je ne le sais pas encore, » répond Shalaleh. « Ça dépendra de ma relation avec ma mentore. Pour cela, je voudrais d’abord prendre le temps de la connaître. Entretemps, c’est clair que je lui poserai beaucoup de questions sur les possibilités de carrière. Dans un domaine comme le nôtre, où les parcours de carrière ne sont pas encore tracés, beaucoup de réponses proviennent de son réseau. D’où l’énorme importance de l’accès à l’information. »

José Gallego, mentoré : Je veux sortir de ma zone de confort

« J’apprécie beaucoup l’opportunité de préciser mes trois premiers choix de mentor(e)s, » commence José. « Dans mon cas, je veux développer mes habilités relationnelles en milieu professionnel. Les colloques en intelligence artificielle pullulent. On n’y est pas juste pour faire connaître ses recherches mais aussi pour se connecteur avec d’autres chercheurs et l’industrie. Or, ce ne m’est pas toujours évident de me présenter à un chercheur qui travaille dans une compagnie qui m’intéresse. Mon mentor à Mila a une expérience en marketing, dans l’établissement des opérations dans de différents pays. Il me semble qu’il saura m’aider à me sortir de ma zone de confort afin de développer les compétences que je cherche. »

José est à mi-chemin dans son doctorat et s’identifie comme membre d’un groupe sous-représenté dans le domaine. Comment a été son expérience comme minorité jusqu’ici?

« La culture à Mila est très égalitaire. Quand j’ai fait référence à mon homosexualité, par exemple, on m’a très bien accueilli, je n’ai vécu aucune différence de traitement avant ou après la divulgation. Ceci dit, la culture au Québec n’est pas toujours très accueillante des étrangers.  En Colombie, d’où je viens, on est curieux par rapport aux étrangers, on les invite, on cherche à les connaître. Ici à Montréal—comme à Amsterdam par ailleurs, où j’ai fait ma maîtrise—les cercles sociaux sont déjà établis, on ne te fait pas forcément de la place. Heureusement, l’environnement multiculturel à Mila permet de tisser des liens entre expatriés. Le programme de mentorat pourrait être un outil de plus pour l’inclusion des minorités. »

Le programme de mentorat de Mila a été lancé le 14 avril 2020 et terminera en décembre. Il jumèle 10 professeur(e)s à Mila et professionnel(le)s de l’industrie à 17 chercheur(e)s, dont 9 qui se sont identifié(e)s comme membre d’un groupe sous-représenté. Le programme est soutenu par l’Accélérateur mentoral, un programme de Mentorat Québec financé par le Gouvernement du Québec.

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