Par Jennifer Petrela, gestionnaire, l’Accélérateur mentoral de Mentorat Québec
En tant que mentors, nous avons un pouvoir d’influence. Et lorsque des aspects de notre identité diffèrent de ceux de notre mentoré(e), nos différences peuvent faire beaucoup de bien – ou beaucoup de mal. Si nous minimisons ou négligeons des aspects de l’identité de notre mentoré(e), par exemple, en particulier lorsque cette identité est moins privilégiée que la nôtre, nous pouvons sérieusement miner la confiance en soi de notre mentoré. La même chose peut se produire si nous imposons consciemment ou inconsciemment notre culture ou notre vision du monde à notre mentoré(e).
Voici 10 obstacles à surveiller en particulier lors du mentorat des membres d’un groupe moins privilégié dont nous ne faisons pas partie.
- Nous pouvons échouer à reconnaître leurs compétences ou leurs réalisations. Un mentoré souffrant d’un trouble déficitaire de l’attention m’a dit un jour qu’il avait l’impression de courir dans la même course que tout le monde, mais qu’il traînait un boulet au pied en le faisant. Les membres de groupes marginalisés travaillent souvent beaucoup plus fort pour obtenir les mêmes résultats que les membres du courant dominant, que la culture ou l’environnement accommodent généralement déjà. Remarquez ces efforts, même si les résultats peuvent ne pas être extraordinaires sous le point de vue de quelqu’un d’autre.
- Nous pouvons favoriser notre propre culture. Il est facile pour les membres d’un groupe majoritaire de supposer qu’il existe une bonne façon de faire les choses – la façon dont la plupart des gens dans leur environnement le font. Mais une grande partie de ce que nous pensons être correct est en fait construit socialement. Notre attitude, nos conseils et nos réactions – même nos réactions à quelque chose d’aussi insignifiant que des différences dans la grammaire – peuvent inconsciemment communiquer que nous valorisons un bagage culturel par rapport à un autre.
- Nous pouvons mal interpréter les comportements, peut-être les juger inappropriés, irrespectueux ou comme un manque d’éducation. Un collègue d’une autre culture ne s’enquiert jamais de questions familiales: sommes-nous impressionnés par la préservation de leur vie privée ou les considérons-nous comme inamicaux? Une collègue utilise notre matériel sans nous le demander: l’appelons-nous une collaboratrice dotée d’un esprit d’équipe ou la trouvons-nous impolie?
- Nous pouvons nous précipiter à suggérer des solutions ou à donner des conseils. Nous sommes convaincus que nous savons ce qui résoudrait le problème de notre mentoré(e), donc au lieu de leur poser des questions et de les laisser développer une solution par soi-même, nous allons droit au but. Mais supposons-nous trop? Comprenons-nous vraiment tous les aspects liés à leur défi? Des différences culturelles, générationnelles ou d’autres pourraient rendre nos conseils irréalisables pour notre mentoré, et maintenant ils/elles doivent soit se conformer à de mauvais conseils, soit dépenser de l’énergie pour nous convaincre pourquoi c’est une mauvaise idée.
- Nous pouvons laisser les stéréotypes ou les préjugés inconscients nous aveugler sur les véritables capacités de notre mentoré(e). Pour prendre un exemple classique, nous supposons qu’une femme avec des enfants ne voudra pas voyager pour le travail, nous ne l’encourageons donc pas à explorer cette option, même si cela signifie faire avancer sa carrière. L’antidote? Demander, demander, demander.
- Nous pouvons minimiser le doute de soi de notre mentoré. Nos mentoré(e)s expriment des doutes sur une ligne de conduite. Leur doute ne semble pas très logique, alors nous le rejetons, ne réalisant pas que c’est une préoccupation réelle qui, si elle n’est pas abordée, limitera la personne mentorée ou lui apportera des difficultés. Mieux vaut prendre le doute au sérieux et proposer un filet de sécurité.
- Nous pouvons pousser trop fort. Nous avons confiance en les capacités de nos mentoré(e)s, nous les exhortons donc à se lancer dans un rôle auquel ils/elles ne sont pas prêt(e)s ou en conflit avec leurs valeurs. L’encouragement est bon. La pression est contre-productive.
- Nous ne pouvons pas comprendre ce que les mentoré(e)s peuvent et ne peuvent pas changer. Les différences d’identité sont souvent accompagnées de différences de contexte social, de valeurs, de normes de comportement. Par exemple, certaines cultures considèrent qu’il est très irrespectueux de contredire une collègue plus âgée, même si la collègue a tort. De même, les membres de certaines religions considèrent le sabbat comme sacré: travailler ce jour-là serait impensable, quelle que soit l’importance de la tâche. De telles valeurs ne sont peut-être pas celles du courant dominant, mais lorsque ceux qui détiennent le pouvoir sont flexibles, il est souvent possible pour les membres de groupes moins privilégiés de réussir sans bouleverser leur propre système de valeurs.
- Nous pouvons oublier de fournir un soutien continu. Les membres d’un groupe sous-représenté luttent souvent quotidiennement contre le syndrome de l’imposteur, la menace des stéréotypes et les micro-agressions. Parfois, un(e) mentoré(e) accepte d’assumer un devoir qui élargi ses compétences, mais l’assumer ne représente que la moitié de la bataille. Pour réussir, les mentoré(e)s doivent persister. Le soutien continu du/de la mentor(e) est essentiel.
- Nous pouvons négliger le travail émotionnel. Il nécessite beaucoup de travail pour réguler ses émotions et ses expressions afin de plaire aux autres, ou afin de paraître professionnel en présence de micro-agressions. Voici cinq façons dont les membres d’un groupe marginalisé effectuent un travail émotionnel invisible:
- Entendre les mêmes questions à plusieurs reprises (d’où venez-vous? Quand êtes-vous arrivé au Canada?) Et répondre patiemment et gaiement, de peur de sembler impoli
- Se sentir étiqueté(e), enfermé(e), pas donné(e) de choix dans la façon dont les autres les voient
- Combattre les sentiments d’insuffisance en raison de leur différence
- Ressentir une pression pour performer selon l’idée préconçue de quelqu’un d’autre
- Faire face aux micro-agressions (voir encadré)
Que faut-il retenir? Remarquer notre chauvinisme inconscient; demandez et écoutez, ne jugez pas; donnez le bénéfice du doute. Et si nous nous trompons, ne pas s’en faire. Se mettre à la place de quelqu’un d’autre est l’une des choses les plus difficiles à faire. Mentorer quelqu’un avec une identité différente que la sienne est un excellent moyen de se pratiquer.
Micro-aggressions
Une microagression est un commentaire ou une action qui exprime subtilement et souvent inconsciemment ou involontairement des préjugés envers un(e) membre d’un groupe marginalisé. Si elles se répètent, les micro-agressions peuvent éroder le sentiment d’estime de soi de votre mentoré(e) et détériorer ses performances. Soyez conscient des manques de considération comme ceux-ci: nommez-les lorsque vous les voyez et encouragez votre mentoré(e) à faire de même.
- Être accueilli(e) moins chaleureusement que les autres.
- Être présenté(e) uniquement par son nom, tandis que d’autres sont présenté(e)s plus personnellement ou avec des accolades.
- Être exclu(e) d’un e-mail ou d’une réunion.
- Ne pas être inclus(e) dans un événement social.
- Ne pas être écouté(e) aussi attentivement que les autres.
- Être interrompu(e) au milieu d’une phrase, alors que les autres ne le sont pas.
- Être témoin d’agacement ou d’impatience à son égard.
- Ne pas recevoir d’explications sur les acronymes, le jargon ou les références culturelles que les autres comprennent.