Par Jennifer Petrela, experte en mentorat, Mentorat Québec
Artiste : Bryan Beyung
Cet article est le deuxième d’une série en deux parties. Pour lire le premier article, cliquez ici.
Cette série de deux articles met en lumière les dommages causés par les micro-agressions : ces petites remarques ou gestes, souvent involontaires ou formulés comme des compliments, qui rabaissent ou invalident les membres d’un groupe marginalisé. Deux façons dont les mentor·e·s peuvent réduire les méfaits des micro-agressions y sont présentées. La première est le traitement, soit soutenir un·e mentoré·e qui a été ciblé·e par une micro-agression. La seconde est la neutralisation et la prévention, c’est-à-dire rendre les espaces communs (y compris la relation de mentorat elle-même) plus équitables et outiller la personne mentorée à faire face aux micro-agressions.
Cet article, le deuxième de la série, propose des moyens d’outiller un·e mentoré·e ou un·e pair·e à réagir contre les micro-agressions de façon à atténuer leurs impacts. Pour des suggestions sur le traitement d’une micro-agression, lisez le premier article (lien).
PRÉVENTION, NEUTRALISATION : MEILLEURES PRATIQUES POUR OUTILLER CONTRE LES ÉVENTUELLES MICROAGGRESSIONS
Encouragez votre mentoré·e à bâtir son réseau. Des réseaux solides sont un puissant moyen de prophylaxie contre les micro-agressions. Premièrement, ils sont une bonne source de soutien. Deuxièmement, les personnes qui se sentent connectées les unes aux autres non seulement sont moins critiques entre elles, mais ont également tendance à être plus rapides à mettre fin aux commentaires ou aux comportements qui pourraient mettre l’un·e d’eux·d’elles mal à l’aise.
Lorsque vous encouragez votre mentoré·e à construire son réseau, rappelez-lui que les meilleurs réseaux sont hétérogènes. Ils comprennent des personnes plus âgées, plus jeunes et du même âge; des personnes au niveau d’expérience professionnelle variée; et des personnes de genres, de milieux et d’autres marqueurs sociaux différents. Votre mentoré·e a besoin d’une variété de personnes qui l’appuient.
Abordez le sujet. Un aspect sinistre des micro-agressions est qu’elles semblent si petites ou se présentent de façon si anodine que la personne qui en fait l’expérience peut se sentir gênée d’en être dérangée. Le problème est aggravé lorsque les mentor.e·s font l’expérience de ce que David Thomas de la Harvard Business School appelle « l’hésitation protectrice » : la réticence à soulever un sujet sensible, soit pour éviter que votre mentoré·e ne se sente mal à l’aise, soit pour réduire les chances, en tant que mentor·e, de faire un faux pas. Mais en soulevant une question sensible, vous pouvez rendre moins gênant pour votre mentoré·e de la mentionner, que ce soit à ce moment-là ou plus tard.
Parler de non-inclusion peut se faire de manière assez neutre. Une bonne stratégie peut être de l’aborder en termes généraux. « Le genre est-il un problème dans votre lieu de travail? », par exemple, ouvre la porte à la discussion, mais laisse votre mentoré·e libre de garder la conversation générale s’il/elle le préfère.
Créez du lien avec votre mentoré·e. Quand j’étais adolescente et nouvellement végétarienne, j’ai rendu visite à ma grand-mère – une carnivore – dans une ville où le végétarisme était considéré comme étrange, sinon aberrant. Ma grand-mère m’a emmenée dans un restaurant pour le déjeuner et quand le serveur est venu à notre table, elle lui a calmement dit : « Nous sommes végétariennes, que nous recommandez-vous? » Je me suis tout de suite sentie rassurée. Sans m’en rendre compte, j’avais appréhendé d’être pointée du doigt.
Le végétarisme n’appelle plus à la solidarité, mais si votre mentoré·e est sous-représenté·e sur une autre dimension, la partage de votre propre expérience – soit sur la même dimension, soit sur une autre – peut le/la rassurer. Savoir que nous ne sommes pas seul·le·s est souvent le point de départ pour trouver une solution. Si vous ne pouvez pas vous identifier, faire un effort pour vous éduquer est un autre moyen de pratiquer la solidarité (voir le point suivant).
Admettez votre ignorance. Personne ne peut s’identifier à toutes les formes de discrimination. De plus, même si la science nous dit que nous avons des biais inconscients, nous ne pouvons pas connaître toutes les façons dont nous sommes biaisé·e·s – c’est pourquoi le biais est appelé « inconscient ». En d’autres termes, à un certain niveau, nous agissons tous probablement comme des daltonien·ne·s à certains égards. (voir encadré).
C’est pourquoi les meilleures pratiques ne consistent pas seulement à développer les compétences culturelles, mais aussi à développer l’humilité culturelle. Apprendre des réalités différentes nous rend moins critiques et plus conscient·e·s. Cela dit, nous aurons toujours plus à apprendre.
Reconnaissez qui détient le pouvoir. Peu de lieux de travail englobent pleinement toutes les dimensions de la diversité – origine nationale, langue maternelle, sexe, âge, personnalité neurobiologie, milieu socio-économique, etc. Même si la diversité est valorisée, la plupart du temps, une certaine culture domine, implicitement ou explicitement.
Lorsque vous reconnaissez cette domination en tant que mentor·e, vous ouvrez la porte à une discussion sur la façon dont elle affecte votre mentoré·e. Cela peut également aider votre mentoré·e à comprendre la nature systémique du problème, ce qui peut le ou la faire se sentir moins seul·e. Cela peut provoquer une discussion sans jugement sur la façon dont votre mentoré·e pourrait mieux naviguer dans l’environnement ou comment l’environnement pourrait mieux l’accommoder.
Rendez l’espace inclusif. Peu d’éléments de nos interactions quotidiennes sont vraiment neutres: comment nous nous rencontrons, quand nous nous rencontrons, qui parle et qui écoute – la plupart de ces éléments sont déterminés par des normes culturelles ou organisationnelles et reflètent des relations de pouvoir que nous tenons parfois pour acquises. Mettez-vous à la place de votre mentoré·e. Venant d’où il/elle vient, ayant une apparence similaire, vous sentiriez-vous le/la bienvenu·e dans son milieu? Faites le même exercice pour votre relation de mentorat. Vous pouvez alors envisager ensemble des moyens de répartir le pouvoir de manière plus équitable. Cela renforcera la confiance et la compétence de votre mentoré·e et augmentera sa capacité à se défendre.
Aidez votre mentoré·e à déterminer s’il est préférable de passer à autre chose. Dans une étude sur les femmes professionnelles noires aux États-Unis, de nombreuses femmes ont attribué à leur mentor·e le mérite de les avoir aidées à décider quand elles étaient mieux servies en poursuivant une carrière dans un nouveau lieu de travail, plutôt que d’essayer de surmonter les micro-agressions sur leur lieu de travail actuel. En tant que mentor·e, vous êtes bien placé·e pour soulever cette option et pour aider votre mentoré·e à comprendre qu’on ne trahit pas nécessairement ses principes si on décide de quitter le navire.
CONCLUSION
David A. Thomas,[1] un professeur de la Harvard Business School, a constaté que les mentoré·e·s qui subissent des micro-agressions et d’autres formes de discrimination progressent plus rapidement lorsque leur mentor·e est conscient·e de ces dynamiques et est non seulement capable d’en discuter, mais aussi de remettre en question son propre rôle. Thomas suggère également que les relations de mentorat peuvent être un bon terrain de pratique : gérer des questions délicates lors du mentorat nous apprend à les gérer dans d’autres contextes. Cela développe autant la capacité du/de la mentoré·e que celle du/de la mentor·e à développer son leadership dans un domaine où il faut défaut.
Les micro-agressions ne disparaissent pas. En effet, à mesure que le racisme manifeste devient moins toléré, les micro-agressions sont susceptibles de se développer – à moins que nous apprenions à les reconnaître, à les traiter et à s’outiller contre elles. Cela nous permettra éventuellement de les empêcher. Un privilège de plus, parmi les privilèges d’être mentor·e.
Cet article est le deuxième d’une série en deux parties. Pour lire le premier article, cliquez ici.
[1] Thomas, David A. « The Truth About Mentoring Minorities: Race Matters. » Harvard Business Review 79, no. 4 (April 2001): 98–112.
Le daltonisme ou l’indifférence à la couleur
Une micro-agression courante est le « daltonisme » ou l’indifférence à la couleur : la position selon laquelle l’orateur ou l’oratrice est libre de tout préjugé, conscient ou inconscient, contre un groupe que l’on racise parce que l’orateur/l’oratrice valorise avant tout la dignité humaine qui est commune à tous. Une expression qui résume cette attitude est la suivante : « La seule race que je vois est la race humaine. »
Exemples de daltonisme
- Je ne vous vois pas comme Noir·e / racisé·e / étranger·ère / etc. Je vous vois juste comme une personne / collègue / etc.
- Je ne vois pas de couleur/de race/d’origine parce que je suis scientifique / enseignant·e / membre d’une profession X.
- J’ai beaucoup d’ami·e·s noirs / racisé·e·s / asiatiques / d’ailleurs. (La suggestion est que parce que l’orateur a ces ami·e·s, l’orateur n’a pas de préjugé.)
- Le racisme n’est plus si grave, surtout pas ici.
- J’ai moi aussi rencontré des obstacles. (La suggestion est qu’on exagère l’importance de l’exclusion ou de l‘injustice.)
Queer Blindfolding
Terme inventé par les chercheurs Smith and Shin en 2014, le « queer blindfolding » est une contrepartie du daltonisme. C’est l’attitude souvent bienveillante qui soutient qu’il n’y a pas de différences entre les personnes cis et les hétérosexuel·le·s et les personnes qui s’identifient comme LGBTQ +. Cette attitude peut laisser les personnes LGBTQ + se sentir incomprises, non valides ou invisibles.